En toute coquetterie nous pensons que 55 ans passés c’est un bon âge. Nous chérissons nos essoufflements et notre fatigue, leurs manifestations sont matière à jouer. Ceci dit, rassurons-nous, nous ne sommes pas si vieux. Il y a des loges de fortune, un cercle tracé au sol et en son centre une table et trois acteurs autour. Les spectateurs entrent. La représentation a-t-elle commencé ? Les acteurs se transforment en clowns. Monsieur Lô, le Blanc et les Augustes Marcel et Airbus révisent leurs classiques puis partent pour un hommage aux clowns d’antan et ça dérape crescendo. Perruques, grandes chaussures, peau de banane, tarte à la crème, fausses sorties, domptage, fanfare, engueulades, jonglage, coups-fourrés, scintillements, acrobaties, mélancolie, cascades, opportunisme et gloutonnerie, pouvoir et autorité, veuleries, crâneries, haute estime de soi et encore un tour de piste.
Tout cela épuise mais le vide après la prouesse c’est notre lot. Parce que ce monde est trop plein, trop bruyant, trop agité. Jouer des ficelles du cirque et des clowns, les revisiter et les détourner, mettre en abyme la fonction d’amuseur c’est comme un témoignage. Comme un documentaire cruel mais amusé sur notre métier et ses histoires que nous jouons pour vous ce soir.
L’intention
Deux d’entre nous viennent du cirque et le troisième du théâtre. Nous sommes rassemblés là en trio par envies de mêler nos façons de faire. Nous ne nous préoccupons plus trop de savoir si nous sommes des clowns de cirque ou de théâtre.
Cependant, notre spectacle évoque les clowns du cirque classique. Notre choix est de faire parler ces clowns disparus. Enfin, plutôt de les jouer, de leur rendre hommage, de les piller. Nous prenons à notre compte ce qui a fait le succès de leurs cabrioles, leurs gamelles, leurs apprentissages de la vie et du monde, leurs lueurs, leurs camaraderies nuancées de leurs luttes de pouvoir et leur appétit de public surtout. Ce répertoire que nous visitons avec nos gestes de clowns contemporains nécessitait une scénographie spécifique. Notre dispositif c’est un cercle avec le public tout autour. Nous jouons dans la piste, nous n’avons rien inventé. N’est-ce pas du cirque ?
Dans cette piste nous nous jouons du théâtre. Nous y faisons même de la dramaturgie de petits bouts de rien. Une peau de banane est abandonnée au sol. Si on glisse dessus sans l’avoir vue, on est au cirque, c’est ça ? Si se pose la question de la pertinence de faire rire avec ça, on est plutôt au théâtre, non ? Nous nous interrogeons sur l’intérêt d’exercer le métier ce soir encore, de devoir encore prendre des tartes et de chercher encore les rires du public.
Nos Augustes récusent le pouvoir de leur Blanc qui lui-même doute de ses actes et rêve ouvertement de briller. Sommes-nous alors toujours dans la piste ou avons nous subrepticement glissé vers la scène ? N’est-ce pas du théâtre ?
En fait c’est plus simple que ça. Nous sommes clowns. Nous sommes dans la piste. Nous avons la parole. Nous posons des questions. Nous n’y répondons pas, nous jouons.